Chapitres 3- Principes de base 09. La neuroplasticité

09. La neuroplasticité

"L'être humain est génétiquement programmé, programmé pour apprendre" (F.Jacob, 1981).

1. Cerveau vs Ordinateur:

Le fonctionnement du système nerveux et celui d'un système informatique présentent certaines similitudes [118, 228, 229]:

  • Les deux ont un signal binaire de base (0-1). Pour les ordinateurs, soit le courant passe soit il ne passe pas. Pour le système nerveux: la loi du tout ou rien des potentiels d'action.
  • Ils ont tous les deux une partie hardware (matériel pour l'ordinateur et organes pour le système nerveux), et une partie software [229] (logiciels pour les systèmes informatiques et fonctions supérieurs pour le système nerveux) [228].

 Cependant, Le système nerveux est extrêmement puissant sur plusieurs échelles:

  • Si on compare un transistor (élément de base d'un microprocesseur, ce dernier étant le centre de calcul et de traitements des données dans un ordinateur) à une synapse puisque les deux ont des fonctions similaires, on se rend compte que dans les plus performant des microprocesseurs conçus aujourd'hui il n'y a que de 3 milliards de transistors [Wikipedia, Transistor count]. Alors qu'au niveau du système nerveux, on dispose d'environ 100 billions de synapses "100 000 000 000 000" [4, 57], un nombre aussi fascinant qu'extraordinaire de connexions nerveuses dans notre corps.
  • Notre cerveau est un superordinateur qui non seulement compte un nombre aussi considérable de neurones et de synapses, mais aussi les gère à un coup minimal d'énergie: à peu près de quoi alimenter une lampe ordinaire. Si on construirait un superordinateur doté du même nombre en transistors il nous faudrait au moins 100 mégawatts d'énergie pour le faire fonctionner: assez d'énergie pour alimenter toute une ville [139]!
  • Non seulement le cerveau est nettement supérieur en nombre de connexions et de la faible consommation d'énergie mais il est aussi nettement bien supérieur dans la gestion des connexions. Celles-ci au niveau du cerveau marchent en parallèle: à chaque instant des milliards d'informations circulent à la fois. Alors qu'au niveau des microprocesseurs il s'agit d'un mode de fonctionnement en série; une information après l'autre.
  • Mais la faculté la plus extraordinaire du système nerveux n'est certainement pas sa puissance. Le véritable et indéniable pouvoir du système nerveux demeure et restera à tout jamais sa flexibilité et sa souplesse. Chaque jour on perd environs 100 000 neurones [111] et pourtant on continue à vivre comme si rien n'était, cela est dû à la formation de nouvelles connexions qui concourent à pallier au déficit. Alors qu'un microprocesseur tombera vraisemblablement en panne pour la perte d'un seul transistor !

2. Découverte :

En 1890, le célèbre physiologiste russe Ivan Pavlov [76] a remarqué que les chiens avaient tendance à saliver avant d'entrer réellement en contact avec les aliments. Il décida alors d'investiguer plus en détail cette (sécrétion psychique). Il réalisa une expérience dans laquelle il annonçait à chaque fois le repas au chien par un signal sonore. Après quelques jours, le chien commençait à saliver chaque fois qu'il entendait ce signal. Pavlov conclut alors que les réflexes d'ordre physiologique peuvent être provoqués par un conditionnement spécial du cerveau et il apporta le concept de (réflexe conditionné [54]). Cette expérience a eu un grand impact sur la neurologie et la psychologie moderne. Plutard, le terme (neuroplasticité) fut inventé par son élève Jerzy Konorski qui développa davantage les recherches de Pavlov. On sait aujourd'hui que les réflexes conditionnés ne sont en fait que des variantes d'une propriété fondamentale et essentielle du système nerveux: La neuroplasticité [97]. La neuroplasticité est la faculté cérébrale la plus remarquable et la plus frappante, c'est le pouvoir de se modifier et de s'adapter aux conditions de l'environnement et de l'expérience. C'est grâce à la neuroplasticité qu'on peut mémoriser, qu'on peut oublier, qu'on peut apprendre, qu'on peut se développer et qu'on peut récupérer des lésions cérébrales qui peuvent être parfois dévastatrices. La découverte de Pavlov n'est qu'un seul exemple de ce dont le système nerveux est capable. En effet, le système nerveux est en perpétuel changement et développement, et les recherches dans ce sens ne cessent de nous impressionner chaque jour par l'incroyable potentiel de la neuroplasticité. Grâce aux techniques modernes comme la TEP (tomographie par émissions de positons [67]) et l'IRM fonctionnelle [76] qui permettent de localiser les régions cérébrales responsables de certaines fonctions, on a pu montrer que chaque personne dispose d'une répartition particulière des aires fonctionnelles au sein de son cerveau, certes il y a des correspondances dans les grands traits, mais il y a quand même quelques différences selon le passé et l'expérience de chacun. C'est ainsi par exemple qu'un violoniste a une région du cerveau assez développée pour les muscles qui contrôlent le doigt auriculaire au détriment des autres doigts, qu'un aveugle de naissance ou depuis l'enfance et qui utilise le langage de Braille pour lire développe une activité importante au niveau du cortex visuel même si l'individu est incapable de voir. Chaque fois qu'une région du cerveau se trouve non fonctionnelle à cause d'une lésion d'un appareil sensorielle ou effecteur elle cède son capital de cellules nerveuses à d'autres fonctions du cerveau. Dans le cerveau, on ne chôme pas!!! Ceci explique comment les aveugles ont une ouïe et un tact très fins, comment les sourds muets développent des facultés de communication avec les signes assez impressionnantes et comment d'autres handicapés arrivent à compenser leur handicap en développant d'autres aptitudes. La neuroplasticité nous explique aussi comment on peut devenir plus intelligent avec le temps alors qu'on perd chaque jour des dizaines de milliers de neurones sans qu'ils soient remplacés !

3. Mécanismes :

D'où vient cette souplesse et cette plasticité du système nerveux ? En fait Il y a plusieurs mécanismes sous-jacents, que ce soit à une échelle locale ou globale.

3.1. A l'échelle synaptique (plasticité synaptique) [52]:

Si on provoque un potentiel d'action au niveau d'un neurone pré-synaptique et qu'on répète plusieurs fois la même stimulation, on note que la réponse du neurone post-synaptique s'amplifie en intensité au fur et à mesure, il y a donc une amélioration de l'efficacité synaptique. Si après quelques jours, on restimule le même neurone pré-synaptique on va enregistrer au niveau post-synaptique la même réponse intense. On appelle ce phénomène la potentialisation à long terme (PLT) [3, 38, 39]. Chaque fois qu'une synapse est sollicitée plusieurs fois, elle devient plus réactive et plus efficace pendant une longue durée. Ceci peut être due à :

  • La sécrétion croissante des neurotransmetteurs.
  • L'augmentation du nombre des récepteurs post-synaptiques ou le changement de leurs propriétés (phosphorylation), leur ouverture va durer donc plus longtemps.
  • Ou bien une baisse de la recapture.

3.2. A l'échelle cellulaire (Plasticité neuronale) [74]:

Le neurone peut créer de nouvelles synapses (synaptogenèse) ou modifier la conformation des épines dendritiques, ce qui a des retentissements sur l'amplitude de l'excitation synaptique. Le seuil d'excitabilité au niveau du cône d'émergence peut également varier selon plusieurs facteurs notamment hormonaux, ainsi un seuil plus haut va rendre plus difficile de créer un potentiel d'action. Aussi mais exceptionnellement, il peut y avoir un faible niveau de neurogenèse, le plus souvent au niveau de l'hippocampe. Des nouveaux neurones naissent avec de nouvelles fonctions.

3.3. A l'échelle globale (plasticité cérébrale) [141]:

Il peut y avoir une réorganisation des réseaux des neurones et redéfinition de leurs connexions. On retient de Donald Hebb [140] (qui est considéré comme le père de la neuroplasticité dans les années cinquante) la phrases "neurons that fire together wire together [140] = Les neurones qui déchargent ensemble se lient ensemble". Chaque fois qu'un circuit de neurones est sollicité à plusieurs reprises, il forme un réseau solide qui se spécifiera à exécuter une fonction bien précise.

4. Applications :

De plus en plus d'études se focalisent sur la neuroplasticité afin d'élucider ces mécanismes, ses limites et surtout ses promesses. Aujourd'hui, Les neurochirurgiens ont de plus en plus de connaissances leur permettant de prévoir si une fonction va être récupérée après un geste chirurgical sur le cerveau ou pas. Cette souplesse cérébrale commence à être exploitée depuis quelques années, en particulier dans le domaine des pertes sensorielles. En effet, Il existe actuellement des dispositifs qui permettent à des personnes atteintes de certaines formes de cécité de (voir) en utilisant la langue [97, 141]: des caméras posées sur le front transmettent les données visuelles à un dispositif qu'on met sur la langue, les différents signaux lumineux sont convertis en signaux mécaniques. La langue étant très sensible permet au patient de faire la discrimination entre ces pixels mécaniques. Avec le temps le cerveau arrive à s'adapter à cette nouvelle fonction et c'est le cortex visuel qui va se charger de percevoir cette nouvelle modalité de vision. Un autre exemple d'une patiente qui a perdu le sens de l'équilibre après une toxicité labyrinthique due aux antibiotiques. On lui a équipé d'un dispositif qui envoie selon la localisation spatiale des signaux réguliers vibratoires au niveau du plancher buccal. Peu à peu, le cerveau s'est adapté à cette nouvelle forme de signale et a intégré son fonctionnement de la même façon qu'il intègre les données neurologiques issues des labyrinthes. Ces applications très pratiques de la neuroplasticité sur des pertes sensorielles nous prouvent une fois de plus que les organes de sens ne sont que des moyens d'extraction des données que nous recevons du monde. Ils sont certes très puissants et très élaborés, mais en cas de panne périphérique, on peut pallier à leur perte par des organes artificiels (substitution sensorielle [97]), et le cerveau va se charger de s'adapter aux nouvelles modalités.