04. Le sommeil

Le sommeil [91, 119] est une perte de conscience physiologique qui se distingue du coma par sa réversibilité. En effet, même dans les stades les plus profonds du sommeil, un stimulus suffisamment fort peut être perçu par le cerveau et réveiller le dormeur [1]. L'alternance veille-sommeil correspond à l'un des cycles fondamentaux chez l'homme et chez pratiquement tous les animaux: le rythme circadien [38, 119].

1. Durée du sommeil :

Nous dormons au moins le tiers de notre vie [41], cela suffit pour prouver l'importance du sommeil.
 
Chez un adulte normal, la durée moyenne du sommeil est de 7 à 8 heures de sommeil par jour [42]. Les gros dormeurs peuvent avoir besoin de 10 heures de sommeil alors que les petits dormeurs peuvent se contenter de 5 heures [168].
 
Il n'y a pas de véritable durée optimale de sommeil, le seul critère d'une bonne dose de sommeil est de se sentir en forme dans la journée qui suit.
 
La durée du sommeil varie avec l'âge [145]. En gros, de la naissance à la mort, il ne fait que diminuer.

2. Phases du sommeil :

Loin d'être uniforme, notre sommeil fluctue entre différents stades (ou phases) [38, 41, 57] survenant dans un ordre caractéristique au cours de la nuit.
 
L'électroencéphalogramme (EEG) [41] est l'examen le plus utilisé pour étudier le sommeil. L'hypnogramme (EEG du sommeil) [5, 136] permet d'enregistrer l'activité des neurones corticaux à l'aide d'électrodes disposées dans des endroits précis du cuir chevelu.
 
L'EEG a permis de distinguer deux phases essentielles du sommeil [80]: Le sommeil lent et le sommeil paradoxal [166].
 
Les ondes de l'EEG permettent selon leur fréquence et leur amplitude de distinguer 4 phases du sommeil lent [1, 72]: Le stade I correspond à l'endormissement ou la somnolence, le stade II au sommeil léger et les stades III et IV correspondent au sommeil profond.
 
Durant le sommeil paradoxal, le tracé de l'EEG [4] ressemble beaucoup à celui de l'éveil avec son rythme rapide et sa faible amplitude. C'est pour cette raison que le neurobiologiste Michel Jouvet l'a nommé sommeil paradoxal en 1959 [119]. Les anglo-saxons le désignent sous l'appellation de REM (pour Rapid Eye Movement, en anglais [32]) parce que ce type de sommeil est caractérisé par de nombreux mouvements oculaires rapides sous les paupières closes.
 
Les différentes phases du sommeil se déroulent comme suit : 1-2-3-4-3-2-1-SP-1-2-3-4-3-2-1-SP-1-2… etc. Chaque descente en sommeil profond est suivie d'une remontée qui mène à une période de sommeil paradoxal [5].
 
Bien que de durée semblable, les cycles évoluent au cours de la nuit. Dans le premier tiers, c'est le sommeil lent qui domine [39]. En fait, les deux premiers cycles comportent essentiellement du sommeil lent profond [57], c'est ce qui explique les grandes vertus de récupération physique associées aux premières heures du sommeil.
 
En contrepartie, le sommeil lent léger et le sommeil paradoxal sont proportionnellement plus importants en fin de nuit [57].

3. Sommeil et activité :

Le sommeil est loin d'être une simple mise en veilleuse de notre activité physique et mentale. Il s'agit d'un état second aussi varié et complexe que l'état de veille [57] et qui s'accompagne de modifications physiologiques importantes (température, sécrétions hormonales, rythme cardiaque et respiratoire, etc.) [41].

3.1. Lors du sommeil lent :

Les muscles sont plus relâchés, et les rares mouvements ne servent qu'à ajuster la position du corps. Le métabolisme général de l'organisme diminue: température, consommation d'énergie, fréquence cardiaque, respiration, fonction rénale, tout ceci ralentit conformément à la prédominance du système parasympathique durant cette phase du sommeil.
 
Les rythmes lents de l'EEG durant le sommeil lent indiquent que le cerveau semble également au repos.

3.2. Lors du sommeil paradoxal :

La consommation de l'oxygène par le cerveau (qui reflète sa consommation d'énergie) est très élevée, même supérieure à celle d'un cerveau éveillé qui réfléchit à un problème cognitif complexe.
 
Il y a perte quasi totale du tonus musculaire qui fait que nous sommes littéralement paralysés, ce qui empêche le corps d'actualiser les rêves!
 
Les muscles respiratoires et cardiaques assurent toutefois les services vitaux. Les muscles oculaires demeurent actifs et produisent les fameux mouvements oculaires rapides, et la fréquence cardiaque et respiratoire augmente de manière irrégulière sous l'influence du système nerveux sympathique.

4. Rôle du sommeil :

On dispose de très peu de certitudes quant au rôle du sommeil [1]. Le sommeil lent et le sommeil paradoxal ont des rôles complètements différents.
 
Alors que pendant le sommeil lent, l'organisme se met au repos, raison pour laquelle le sommeil profond est aussi dit sommeil réparateur. Le rôle du sommeil paradoxal est beaucoup plus controversé, il parait qu'il sert à consolider les processus de mémoire et de l'apprentissage [163], il joue aussi un rôle dans les émotions et les traits de personnalité, enfin il est le support privilégié des rêves.
 
Le rôle des rêves est aussi controversé [5]: Freud qualifie les rêves de (voie royale de l'inconscient) [76]. Leur scénario serait alors fabriqué à partir d'impressions vécues durant la journée et d'anciens souvenirs qui sont transformés ou déguisés afin d'échapper au contrôle de la conscience.
 
D'autres scientifiques leur attribuent un caractère arbitraire qui découle de la mal interprétation par le cerveau des signaux venus de l'extérieur vue l'état de conscience perturbé par le sommeil.
 
Les rêves ne surviennent pas que lors du sommeil paradoxal, mais c'est dans cette phase qu'on a les scènes et les images les plus claires et les évènements les plus cohérents [57], le sommeil profond est le terrain propice des cauchemars et des terreurs nocturnes [166].

5. Mécanismes du sommeil :

Les mécanismes de l'éveil et du sommeil sont très complexes [5, 95], ils mettent en jeu plusieurs structures anatomiques et plusieurs molécules chimiques.

5.1. Structures anatomiques impliquées :

Très schématiquement, les composantes des systèmes modulateurs du cycle éveil-sommeil peuvent être groupées en deux grandes voies qui ont toutes les deux comme origine une partie du noyau réticulé du bulbe rachidien.

  • La voie ventrale [172] qui se projette vers l'hypothalamus postérieur et le noyau de Meynert du télencéphale basal [119, 172] (neurones à acétylcholine). C'est la voie réticulo-hypothalamo-corticale. La stimulation de l'hypothalamus postérieur produit un état d'éveil comparable à celui que l'on obtient par la stimulation de la formation réticulée du tronc cérébral.
  • La voie dorsale [172] active les noyaux mésopontins cholinergiques [119], la formation réticulée mésencéphalique (neurones à aspartate/glutamate) et le thalamus. C'est la voie réticulo-thalamo-corticale.

Une structure clé du cycle sommeil-éveil est le noyau suprachiasmatique [57], celui-ci appartient à l'hypothalamus où il est situé directement au-dessus du chiasma optique [119]. L'activité des neurones de ce noyau augmente et diminue sur une période d'environ 24 heures, ce noyau semble donc un élément clé dans la régulation du rythme circadien.
 
Le noyau suprachiasmatique reçoit des signaux en provenance des nerfs optiques qui permettent de calibrer l'horloge biologique [1, 39, 119] à partir des cycles jour-nuit. Il se projette dans un ensemble de zones cérébrales: l'hypothalamus, le tronc cérébral, et le mésencéphale. Il influence également la sécrétion de la mélatonine (hormone clé du cycle nycthéméral) par la glande pinéale [57].
 
Le locus cœruleus [38] (un noyau situé au niveau du pons) joue également un rôle majeur dans le cycle sommeil-éveil grâce à ses connexions avec les noyaux du raphé [38] (impliqués dans l'endormissement et qui se projettent sur le noyau suprachiasmatique), les noyaux paraventriculaires de l'hypothalamus et le néocortex cérébral. Ces projections sont de nature adrénergique ce qui fait du locus cœruleus un véritable noyau de stress [80], de motivation et d'éveil. La destruction entière de ce noyau supprime le rêve et le sommeil paradoxal.

5.2. Biologie du sommeil :

Deux processus doivent se superposer correctement dans l'organisme pour que l'on puisse s'endormir:

  • Le rythme circadien, réglé par notre horloge biologique, et qui orchestre la sécrétion cyclique de plusieurs hormones dont la mélatonine [1], impliquée dans le sommeil.
  • L'accumulation de substances hypnogènes durant la journée, substances qui induisent une envie de dormir ne disparaissant qu'avec le sommeil, comme la sérotonine qui est secrétée par l'hypothalamus antérieur et qui inhibe l'hypothalamus postérieur [136].

L'un des facteurs hypnogènes les plus étudiés est l'adénosine [136], une petite molécule issue de la dégradation de l'ATP (substrat énergétique principal des cellules). L'adénosine agit aussi comme neuromodulateur au niveau de nombreuses synapses dans le cerveau. Des antagonistes naturels des récepteurs de l'adénosine comme la caféine du café ou la théophylline du thé sont des substances bien connues pour leur effet stimulant.
 
L'activité de l'hypothalamus postérieur diminue naturellement au cours du sommeil, relâchant alors moins d'histamine [41]. Les antihistaminiques que l'on prend contre les manifestations allergiques provoquent d'ailleurs une certaine somnolence en diminuant l'activité de l'histamine [74].